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« Une nouvelle Constitution n’aura de légitimité que si elle est acceptée par la société haïtienne dans son ensemble », selon Helen La Lime

La représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU en Haïti continue de croire que la réforme constitutionnelle demeure une priorité pour Haïti. Cependant, Helen La Lime nuance en indiquant qu’« une nouvelle constitution n’aura de légitimité que si elle est acceptée par la société haïtienne dans son ensemble ». Dans un entretien par écrit accordé à Le Nouvelliste, la cheffe du BINUH estime qu’ « un processus de réforme devra refléter un consensus viable sur le long terme, adapté à la réalité politique, sociale et économique d’Haïti ». Interrogée sur des critiques qui laissent croire qu’elle soutient le président de la République, Helen La Lime esquive. Le journal vous propose une première partie de ce long entretien.

Publié le 2020-07-06 | Le Nouvelliste

Le Nouvelliste : Dans un texte publié le 15 juin 2020, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti lance un appel pour une entente politique en vue d’aboutir à une réforme constitutionnelle profonde. Le BINUH compte-t-il mettre ses bons offices à la disposition des acteurs ?

Helen La Lime : Avant de répondre à votre question, j’aimerais souligner deux points qui retiennent toute mon attention depuis mon arrivée en Haïti et qui m’ont toujours interpellée en tant que représentante du secrétaire général. Premièrement, le fait que Haïti est l’un des membres fondateurs des Nations unies et que le pays entretient une relation privilégiée avec l’organisation depuis maintenant 75 ans. Secondement, la participation active et passionnée de tous les groupes de la société haïtienne aux débats publics dans une perspective de recherche d’une solution à la crise politique, économique et sociale que connait ce pays. Pour moi, cela traduit le courage de ce peuple, fidèle à son passé glorieux, empreint de liberté, et qui aujourd’hui se meut et se bat pour des lendemains meilleurs.

Plus de 30 ans après l’adoption de la Constitution de 1987, la réforme constitutionnelle est une priorité identifiée par de nombreux acteurs politiques et sociaux haïtiens de tous bords. Le processus d’amendement initié durant la présidence de feu René Préval avait, malgré les controverses, obtenu des acquis modestes et ouvert la voie à de futures révisions en démontrant qu’il est possible de faire évoluer la Constitution avec les réalités du pays. Loin d’articuler une nouvelle proposition, notre tribune du 15 juin reflète plutôt les débats politiques haïtiens de ces dernières décennies sur cette question.  Le BINUH a un mandat de soutien aux autorités nationales pour la stabilité politique et de bonne gouvernance, qui inclut les bons offices. Comme je le fais depuis mon arrivée en Haïti, je reste prête à mettre mes bons offices à la disposition des acteurs, s’ils le souhaitent. Le BINUH et le système des Nations unies en Haïti s’engagent également à appuyer l’Etat et la société haïtienne dans l’avancement et la mise en œuvre de toute réforme résultant de processus de réforme constitutionnelle entre autres qui permettrait de consolider la bonne gouvernance et la stabilité politique, dans le plein respect de l’État de droit et des libertés fondamentales. Les réformes, y compris une réforme constitutionnelle, doivent être menées de manière inclusive par les Haïtiens dans un esprit de large consensus, avec le soutien des partenaires internationaux si souhaité.

L.N : Pour ramener Haïti sur le chemin de la croissance et de la stabilité le BINUH est-il pour une constitution qui opte pour une Chambre unique ?

H.L.L : La Constitution haïtienne se doit d’être en premier lieu un document qui reflète les attentes et les besoins des Haïtiens, ainsi que la réalité haïtienne. Ce n’est donc pas au BINUH d’exprimer des préférences ou de prendre position. C’est aux Haïtiens de proposer, de discuter et de s’accorder sur les mécanismes institutionnels qui pourraient permettre l’instauration de relations plus coopératives entre les pouvoirs de l’Etat afin de renforcer la démocratie, la stabilité institutionnelle, la bonne gouvernance et le respect de l’État de droit ainsi que celui des droits de l’homme.

Le rôle du BINUH est plutôt d’accompagner tout processus de réforme qui aille en ce sens, si les Haïtiens le souhaitent, en soutenant les efforts visant à préserver un environnement pacifique et promouvoir la stabilité politique. De nombreux débats et consultations ont déjà eu lieu en Haïti sur de possibles amendements à la Constitution. Ils ont généré plusieurs documents de référence sur ces questions, tels que le récent rapport de la Commission spéciale de la Chambre des députés sur l’amendement de la Constitution, celui de la commission mise en place par l’ancien président René Préval en 2009, les travaux de la chaire Louis Joseph Janvier de l’Université Quisqueya sur la Constitution, ou encore le rapport des états généraux sectoriels de la nation pour n’en citer que quelques-uns. Au-delà de ses bons offices, le BINUH peut également mettre à disposition les expériences d’autres pays ayant bénéficié de l’appui de l’ONU dans leurs propres processus de réforme constitutionnelle, ainsi que des experts sur des thématiques particulières, afin d’offrir différentes options sur des points spécifiques, avec une analyse des avantages et désavantages de chacune, pour mieux étudier les tenants et les aboutissants de leur mise en œuvre dans le contexte haïtien.

L.N : Dans le texte du 15 juin, il est écrit : « Une réforme constitutionnelle profonde permettrait de remédier aux défaillances du système de gouvernance actuel et de créer des conditions plus propices à la stabilité institutionnelle, à la bonne gouvernance, et au respect de l’État de droit ; trois caractéristiques plus que jamais indispensables à l’essor du pays. ». Le BINUH souhaite-t-il l’abolition du poste de Premier ministre ? des mandats consécutifs pour le président de la République d’Haïti ? Ou d’autres changements ?

H.L.L : Une fois de plus, il n’appartient pas au BINUH de se prononcer sur les provisions d’une nouvelle constitution.  Nous constatons, tout comme la majorité des Haïtiens, qu’Haïti traverse depuis longtemps des cycles d’instabilité politique liées à des impasses institutionnelles qui créent des controverses politiques somme toute assez stériles. Celles-ci ont un impact important sur la capacité des institutions de l’État à fonctionner de manière efficace ainsi que sur l’économie, et donc, sur les conditions de vie de la population.

Les propositions et les études déjà mises sur la table méritent toutes d’être examinées en profondeur et débattues par les Haïtiens. Quelles que soient les options choisies, celles-ci devront tenir compte de la réalité haïtienne ; leur succès dépendra également des institutions mises en place afin « d’opérationnaliser » concrètement une nouvelle constitution. Le rôle du BINUH est et restera d’accompagner tous les acteurs haïtiens dans la recherche des solutions viables et durables, conformément à son mandat.

L.N : Il n’y a pas de provision constitutionnelle pour modifier la Constitution de 1987 amendée. Quelle option préconise le BINUH pour y arriver ? Le président Moïse convoquera une constituante par décret ? Le président Moïse publiera l’amendement par décret ? Le président organisera un référendum comme juge et partie ?

H.L.L : Encore une fois, le BINUH n’a ni l’autorité ni le mandat de décider des modalités à utiliser pour effectuer une réforme constitutionnelle. Cependant une nouvelle constitution n’aura de légitimité que si elle est acceptée par la société haïtienne dans son ensemble et jouit de l’adhésion très large des forces politiques et sociales du pays. Un processus de réforme se devra refléter un consensus viable sur le long terme, adapté à la réalité politique, sociale et économique d’Haïti. Toutefois il doit rester haïtien et il doit refléter les convictions des Haïtiens. L’inclusivité du processus permettra aussi de renforcer sa légitimité et celui du système de gouvernance qui en résultera. Il incombe aux acteurs de collaborer et de se mettre d’accord sur les modalités d’une telle réforme, malgré leurs désaccords sur de nombreuses autres questions.

L.N : Il y a déjà eu des tentatives de dialogue entre les partis politiques avec le BINUH comme facilitateur, arbitre ou spectateur engagé. Elles n’ont pas abouti à des résultats. Le BINUH a-t-il tiré les leçons de ces précédentes tentatives ? Pourra-t-il aider les Haïtiens à faire mieux la prochaine fois ?

H.L.L : Les processus de dialogue politique sont longs et rarement linéaires, particulièrement lorsqu’il s’agit de s’accorder sur des réformes ambitieuses et de long terme dans un contexte de polarisation politique accrue, tel que celui dont nous sommes témoins en Haïti. Les sessions que nous avons accompagnées avec l’OEA et le nonce apostolique en décembre 2019, janvier et février 2020 font intégralement partie du processus de dialogue et contribuent à la recherche de consensus, malgré le manque de résultats. Il incombe cependant à la nation haïtienne de trouver le chemin du dialogue et, au travers de l’engagement constructif des représentants de ses forces vives, de définir un consensus politique pour le bien commun de sa population. C’est dans cette perspective que le BINUH poursuit ses efforts afin de promouvoir un environnement propice au dialogue, en rappelant aux acteurs qu’il s’agit tout d’abord de décider sur des questions de fond et de long terme pour l’avenir de la nation.

L.N : Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies est réputé proche des positions du président Moïse, dans ce texte du 15 juin, il n’y a aucune mention des partis politiques haïtiens. Avec qui aura lieu le dialogue cette fois ?

H.L.L : La participation de l’ensemble des forces vives de la nation – les partis politiques, mais aussi la société civile, les secteurs privés et universitaires, la diaspora, ou encore les organisations religieuses et professionnelles – est indispensable au succès d’un dialogue en vue d’une sortie de crise. Nous encourageons tous les acteurs à faire preuve de patriotisme et de sens de l’intérêt commun afin de participer activement à une sortie de crise, en faisant des propositions constructives, pour avancer dans ce sens. Le succès de tout dialogue en dépend.

L.N: Vous avez dit dans la prise de position : « Si le BINUH n’a aucunement vocation à se substituer aux institutions nationales dans l’interprétation de la Constitution, il considère toutefois que, dans un régime démocratique, les élections représentent la seule voie d’alternance au pouvoir et que les mandats qui en découlent doivent être respectés par tous les acteurs de la société. » Certains perçoivent cette position comme un appui au maintien du président au pouvoir jusqu’au 7 février 2022 ! Avez-vous un commentaire ? Comme le secrétaire général de l’OEA, êtes-vous pour le maintien du président au pouvoir jusqu’au 7 février 2022 ?

H.L.L : À nouveau, le BINUH n’a ni l’autorité ni le mandat d’interpréter la Constitution haïtienne. Il est regrettable que presque une décennie après les amendements de 2012, il n’y ait toujours pas de Conseil constitutionnel à même d’arbitrer ces questions, et donc d’y apporter des réponses institutionnelles.  La controverse actuelle, alors même que le pays fait face à l’épidémie de Covid-19 et aux répercussions socioéconomiques de la crise politique de 2019, représente une indication supplémentaire du niveau de polarisation politique et donc du besoin de consensus pour une sortie de crise. Néanmoins les élections, dans toute démocratie, représentent la règle et constituent le principe fondamental de l’alternance au pouvoir et du renouvellement politique des institutions. La définition consensuelle d’un calendrier électoral et la tenue des élections permettrait donc à Haïti de respecter ces principes et de renforcer son attachement à ces valeurs partagées au niveau régional et international.

L.N : Dans l’appel du 15 juin 2020, il n’est pas question de nouvelles ni de prochaines élections. Dans les prévisions et recommandations du BINUH, le pays restera sous ce régime particulier pendant combien de temps ?

H.L.L : Les élections sont un mécanisme fondamental de l’alternance démocratique ; elles nécessitent cependant un cadre électoral qui permette une participation accrue et inclusive, dans un environnement apaisé ; et un calendrier électoral avec des échéances claires. Leurs résultats doivent être acceptés par tous, y compris les perdants, afin que ne se répètent les épisodes de violence électorale qu’a connus Haïti par le passé. Le système des Nations unies a un rôle d’appui technique auprès des institutions électorales. Il est impératif d’avancer sur l’organisation d’élections tout en considérant les défis additionnels liés à la pandémie de Covid-19 et le contexte politique et sécuritaire actuel.

L.N : Si l’on comprend le cheminement de l’appel du 15 juin, il n’y aura pas d’élections avant l’adoption d’une nouvelle constitution. C’est bien cela le scénario ?

H.L.L : La tenue des élections et une réforme constitutionnelle ne sont pas, a priori, mutuellement exclusives, d’autant plus que les élections nécessitent des préparatifs qui pourraient se faire en parallèle, mais il appartient aux Haïtiens de prendre ces décisions. De nombreux interlocuteurs d’horizons politiques divers semblent s’accorder sur le fait qu’une réforme constitutionnelle pourrait se faire dans des délais relativement brefs, si les acteurs de la société haïtienne se mettent d’accord sur ses modalités, sans créer de retard sur un éventuel calendrier électoral. Il revient cependant une fois de plus à la société haïtienne ainsi qu’à son personnel politique, et non au BINUH, de s’accorder et de se prononcer sur les calendriers respectifs de ces deux processus.

Source : https://lenouvelliste.com/article/218236/une-nouvelle-constitution-naura-de-legitimite-que-si-elle-est-acceptee-par-la-societe-haitienne-dans-son-ensemble-selon-helen-la-lime

 

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