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Konpè Filo repose au pays sans chapeau

Le temps d’un hommage, Anthony Pascal, alias Konpè Filo, a fait sa dernière virée au Champ de Mars avant d’aller reposer au pays sans chapeau, lui qui portait de tout temps celui de Zaka.

Anthony Pascal, alias Konpè Filo, a honoré son dernier rendez-vous, au kiosque Occide Jeanty, mardi 18 août 2020. Comme avant lui, les rappeurs de Barikad Crew ou l’ex-président René Préval, l’illustre journaliste, vodouisant et défenseur de la culture créole, qui s’est éteint fin juillet, a fait une dernière virée au Champ de Mars avant de prendre sa place dans le monde immatériel et des infinies possibilités.

Son cercueil gris cendre, sans lustres, enveloppé des couleurs nationales, est posé au milieu de l’estrade. Autour de son sarcophage, dans un écrin aquarelle agrémenté de végétaux, il y a des objets cultuels, des jarres, des « vèvè », des tambours « Assotor » sortis lors de funérailles de grands dignitaires voudous, des « Govi », réceptacles de l’âme du « traversé » et des vodouisants, trois ministres, des officiels, des parents et des ami(e)s, comme Liliane Pierre-Paul, avec qui il a écrit de belles pages du journalisme et de la valorisation du créole, à Radio Haïti Inter.

Peu après 11 heures 10, sur les ailes d’un petit tourbillon d’encens, la voix de stentor du hougan Erol Josué prend encore plus d’amplitude. « Nous emmenons Filo au pays des Alada, au pays des ancêtres, dans l’Afrique mythique », dit le hougan, grande robe sombre, boule à zéro, açon en main en présidant la cérémonie funéraire.

Entre les mantras, les woukoukou, les « liminasyon » et les « jete dlo », l’utilisation de l’élément feu, de l’eau dans le rituel, Erol Josué, appuyé par le chœur des « ounsi kanzo », chante les dieux du panthéon voudou, Zaka, Erzulie…

Il campe Konpè Filo en six mots : «Se yon moun ki te moun ». « C’était quelqu’un ». Le Konpè Filo désintéressé, dépouillé des coquetteries de l’Occident, profondément imprégné du pays réel, de la culture paysanne, sans jamais exclure ni ridiculiser le paysan haïtien, poursuit, entre deux souffles, Erol Josué.

La petite foule agitée devant l’estrade, occupée à assener des paroles acides à l’encompte de personnalités, Pradel Henriquez, Abner Septembre, le MC, l’ex-député Caleb Desrameaux, s’adoucit. Sur demande de Erol Josué, elle chante, participe à l’au-revoir à Konpè Filo, devenu Wongolo, comme d’autres, partis pour le pays sans chapeau.

Le Konpè Filo, « mort de négligence et de manque de soins », accuse l’un de ses sœurs, a passé sa vie au service d’un rêve, d’un Haïti meilleur à donner en partage à tous et à sa seule fille, Camellia Aïda. La fille de Konpè Filo, qui n’a pas pu faire le voyage du Canada, via un parent, a partagé ses mots, son chagrin, ses moments de résignation aussi d’avoir grandi sans son père.

« Haïti avait besoin de vous plus que moi », écrit Camellia Aïda qui ne fait cependant pas l’économie d’un constat d’abandon. Le pays pour lequel Filo avait mis tant de choses entre parenthèses l’a abandonné lorsqu’il avait besoin de soins de santé. « Personne ne doit mourir dans ces conditions », tranche Camellia Aïda Pascale.

La fille de Filo, comme son père, pardonne à Haïti ce manquement qui lui impose les mouchoirs, la rupture avec ce père qui appelait toujours lorsqu’elle était au creux de la vague. Avec ce père, elle a expérimenté une connexion. À ceux qui ont aimé et honoré son papa, Camellia Aïda dit merci. Parce qu’il faut dire merci.

Le merci, c’est aussi le mot de l’une des sœurs de Konpè Filo qui esquisse le destin de sacrifié des aînés des familles haïtiennes de conditions modestes. L’illustre journaliste avait dû laisser ses études en troisième secondaire. Il fallait travailler pour aider papa et maman. Il a travaillé dans une blanchisserie avant de basculer dans le journalisme, cet engagement, cette fulgurance, sans jamais avoir la grosse tête.

Son engagement, qui lui a valu la prison et l’exil, a été payé par sa famille. Sa sœur Mardochée Pascale se souvient de ce 25 décembre après la rafle des macoutes de Jean-Claude Duvalier, le 28 novembre 1980. Quand d’autres fillettes de son âge ouvraient leurs cadeaux de Noël, elle et sa famille arpentaient la vallée du chagrin, expérimentaient le poids de l’absence et surtout la cruauté d’une pesante incertitude, celle de ne pas savoir quand l’exilé rentrera au pays natal.

Le ministre de la Culture et de la Communication, Pradel Henriquez, a souligné l’importance des funérailles au kiosque. Ces funérailles d’État, s’aventure-t-il à dire, arc-bouté à une belle certitude : Filo le mérite.  Il mérite aussi, dépouillé de ce corps brisé par les ans et la maladie, d’aller danser au-dessus de 36 mapous que l’association des paysans de Vallue vont planter pour lui. Le ministre de l’Environnement, Abner Septembre, originaire de Vallue, rassure que ce jardin sera un lieu de visite, de connexion avec Konpè Filo et avec les belles énergies comme la force, la sagesse, l’amour… qui l’ont porté depuis sa naissance, un 11 mars 1953, jusqu’à sa dernière virée au Champ de Mars avant d’aller se reposer au pays sans chapeau, lui qui portait de tout temps celui de Zaka.

Roberson Alphonse

Source : https://lenouvelliste.com/article/219941/konpe-filo-repose-au-pays-sans-chapeau

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