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Sanctions, injections et taux de change : des éléments factuels…

Depuis au moins deux ans, Haïti fait face à une crise de change[1]. La crise s’était particulièrement accentuée en 2020. Dans certaines banques commerciales de la capitale, le dollar se vendait déjà à plus de 120 gourdes au 17 août 2020. Mais à la surprise quasi générale, le taux de change entre la gourde et le dollar américain a chuté de plus de 20% en moins d’un mois. En effet, le dollar, pour les plus petites valeurs, s’achetait à l20.5 gourdes et se vendait à 121.5 gourdes le 17 août, contre 95 gourdes à l’achat et 97 gourdes à la vente le 8 septembre 2020. Importante appréciation de la gourde sur la période…

Dans l’intervalle, un certain nombre d’événements se sont produits dans l’économie en général et sur le marché de la monnaie en particulier. Il y a d’abord la décision de la Banque de la République d’Haïti (BRH) d’injecter, du 10 août au 30 septembre 2020, 150 millions de dollars américains sur le marché. Ensuite, le gouverneur de la banque des banques a annoncé, dans une conférence de presse, avoir infligé des pénalités pour plus de 869 millions de gourdes à deux banques commerciales, sans préciser les motifs : la Unibank (865.4 millions de gourdes) et la Capital Bank (4 millions de gourdes). Il y a également l’annonce du don de 3,7 milliards de gourdes de l’Union européenne à l’État haïtien et la décision du gouvernement de ne pas engager certaines catégories de dépenses pour l’exercice 2019-2010 après le 4 septembre 2020. Les annonces ont été toutes deux faites le 26 août 2020.

Certains analystes nient l’existence de tout lien entre la baisse du taux de change et ces événements, notamment les injections. D’autres pensent que ce sont particulièrement les sanctions qui expliquent l’appréciation de la gourde. Ce texte non académique ne vérifie aucune corrélation, mais apporte certains faits au débat… pour aider à mieux comprendre.

Les injections d’abord

Les analystes rejettent l’existence de toute éventuelle corrélation (positive) entre les injections de dollars (qui peuvent être assimilées aux opérations d’open market) et l’appréciation de la monnaie nationale – en avançant, à juste titre, que ce n’est pas la première fois que la banque centrale fait des injections qui ne donnent pas de résultats. Cependant les données disponibles montrent que, depuis au moins 5 ans, c’est la première fois qu’une injection aussi importante de dollars se fait sur une période aussi courte dans l’économie haïtienne.

Les faits

Selon les données publiées sur son site internet, durant tout l’exercice 2015-2016, la BRH avait injecté seulement 94,3 millions de dollars américains sur le marché. Elle en avait aussi acheté 200 000, car les interventions de la banque centrale peuvent consister à acheter ou à éponger de liquidités sur les marchés. En 2016-2017, le régulateur du secteur bancaire avait injecté 150,1 millions de dollars et acheté 161,9 millions de dollars sur les 12 mois de l’exercice. Pour l’exercice 2017-2018, elle avait vendu 169,6 millions de dollars sur le marché tout en achetant 87,9 millions. En 2018-2019, c’est environ 176,5 millions de dollars qui ont été injectés sur le marché, contre des absorptions de 13,8 millions.

Entre octobre 2019 et juin 2020, 80,5 millions de dollars ont été déjà vendus sur le marché contre des achats de l’ordre de 7,8 millions de dollars par la BRH. Donc si, comme annoncé, la banque injecte 150 millions de dollars supplémentaires, les injections totaliseront la somme de 230,5 millions de dollars américains pour l’exercice. Il faut faire remarquer, si besoin est, que l’injection des 150 millions de dollars devrait se faire en seulement… huit semaines. En moyenne, plus de 18,7 millions de dollars seront injectés sur le marché hebdomadairement. Ce qui représente plus de 46% des besoins en dollars du marché, ce marché qui formellement mobilise autour de 40 millions de dollars par semaine en moyenne. Dans cette situation, il doit y avoir, dirait-on, un excédent de l’offre du « bien-dollar », la demande étant supposée constante. La baisse de prix, donc du taux de change, ne serait autre qu’automatique conformément à la loi élémentaire de l’offre et de la demande d’un bien sur un marché. Je vous épargne les autres considérations liées aux injections susceptibles de faire baisser davantage la demande du dollar.

Les sanctions/pénalités: des faits

Contrairement au dire de certains, les différents rapports annuels de la BRH consultés sur le site internet de la banque, les pénalités aux banques commerciales ne sont pas nouvelles en Haïti.

En effet, si l’on part de 2010, on se rendra compte que les pénalités au système bancaire – pour les motifs d’insuffisance de réserves, de dépassements de limite de la position nette de change ou de retard dans la soumission de rapports – s’élevaient à 2,03 millions de gourdes (2010-2011). En 2011-2012, une faible pénalité de 406 000 gourdes de pénalités étaient imposées aux banques commerciales ; 11,2 millions en 2012-2013 ; 696,8 mille gourdes pour l’exercice 2013-2014 ; 9,8 millions de gourdes en 2014-2015 et 155,7 millions de gourdes en 2015-2016.

Fait important :  Les données montrent que les banques commerciales sont surtout pénalisées en raison du non-respect de la limite de 2% de la position nette de change fixée par la BRH. Par exemple, en 2015-2016, 45,30% des pénalités étaient liés au non-respect de ce principe qui vise à limiter l’accumulation de dollars. Autrement dit, les banques commerciales savent bien violer les règles établies pour réaliser des gains de change importants. Des violations qui, sûrement, favorisent la spéculation. À quand des sanctions plus fermes de la BRH ?

Somme toute, les sanctions font partie de la gamme d’outils dont dispose la BRH pour son travail de régulation. Cependant, a) jamais depuis 2010 des sanctions aussi importantes n’ont été infligées aux banques commerciales selon les données consultées ; b) les sanctions n’étaient jamais communiquées à la population auparavant autre que dans les rapports annuels de la banque centrale qui ne sont pas réellement lus par le plus grand nombre. Ces faits, effectivement, sont susceptibles d’appeler les banques commerciales à la prudence dans leur tendance à la spéculation qui participe bien à la détérioration du taux de change et donc des conditions de vie.

Si les injections (parce qu’elles sont importantes) et la communication au grand public des sanctions infligées au secteur bancaire participent effectivement à la baisse du taux de change, pourquoi la BRH n’adoptait pas de telles postures bien avant ? Doit-on penser au renforcement du cadre règlementaire de la banque ? Questions sans réponses… pour l’instant.

On peut conclure le texte en disant deux choses, non tout à fait liées : 1) la baisse du taux de change constatée sur le marché est fragile et peut-être temporaire. La principale raison est liée au fait qu’elle ne résulte d’aucun changement structurel au niveau des fondamentaux de l’économie. La seule nouvelle variable de l’équation est l’injection substantielle, que la BRH ne pourra tenir longuement. 2) si les injections et les sanctions doivent participer dans l’explication de la tendance baissière du taux, le rythme de la baisse est plus difficile à expliquer. Il faut donc des travaux académiques poussés pour expliquer ce phénomène, des enseignements pour le bon fonctionnement de l’économie en découleraient…

Enomy GERMAIN

Économiste

PDG de ProEco Haïti

Source: https://lenouvelliste.com/article/220756/sanctions-injections-et-taux-de-change-des-elements-factuels

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